Magistrat, Magistrat Présidente du tribunal de première instance de deuxième classe d’Allada, Présidente de l’Association Internationale des Femmes Juges chapitre Béninois-AIFJ, Aubierge Olivia HUNGBO KPLOCA, met en lumière, à travers cet entretien les objectifs et initiatives de son association.
Vous êtes la seule femme chef de juridiction au Bénin. Dites-nous pour commencer, comment se porte la juridiction que vous présidez?
En effet, je suis actuellement la seule femme chef de juridiction. Je puis vous dire que c’est un concours de circonstances. Très bientôt, il y aura une pléthore de femmes chefs de juridiction du tribunal de première instance de deuxième classe que j’ai l’honneur de présider se porte à merveille.
Parlez-nous de l’association internationale des femmes juges dont vous êtes présidente.
L’Association internationale des femmes juges du Bénin est membre d’une association internationale qui a son siège à Washington. Je veux citer L’IAWJ qui regroupe près de 4000 femmes juges réparties dans près de 90 pays. C’est une association apolitique à but non lucratif. Le chapitre béninois de l’Association internationale des Femmes Juges a été créé en août 2004, mais bien avant, le Bénin, à travers nos aînées, avait déjà participé à diverses activités de l’association internationale des femmes juges. C’est le lieu de rendre hommages à ces aînées qui ont fondées l’association nationale. Elles se reconnaîtront. Je me permets de nommer celles qui ont présidé avant moi l’association…….celles qui ont présidé l’association. Il s’agit de Madame Jeanne Agnès AYADOKOUN Magistrat à la retraite mais qui est actuellement chargée de la formation des auditeurs de justice. Elle est la première présidente de notre association. Ensuite, il y a eu madame AYEMONA Claire deuxième, présidente élue de notre association. Enfin en 2017, j’ai été élue présidente. Je suis donc la troisième présidente depuis la création de notre association.
Quel rôle jouez-vous dans la société et pour quel but ?
Nous sommes une association apolitique à but non lucratif. Les femmes magistrats qui ont accepté de se regrouper au sein de cette association ont compris qu’elles avaient un rôle à jouer dans la société. En effet, nous ne pouvons plus nous contenter de rester derrière notre pupitre, impuissante face à la détresse de certaines justiciables ignorantes de leurs droits les plus élémentaires. Les femmes juges souhaitent désormais jouer leur partition pour le développement de la femme et son émancipation. Ainsi, notre association oeuvre au développement du leadership de ses membres en premier lieu puis à promouvoir les droits humains mais plus spécifiquement ceux de la femme et de l’enfant. Elle œuvre aussi pour l’élimination de toutes sortes de discrimination fondées sur le sexe. Elle souhaite contribuer à l’autonomisation et au leadership des femmes à tous les niveaux à travers des activités d’information d’éducation et de plaidoyer.
Parlant de violence, quels sont les types de violences faites aux femmes que votre association reconnaît?
La communauté internationale plutôt, reconnaît plusieurs types de violences, à savoir : Violences psychologiques, sociales économiques, sexuelles, violences spirituelles et religieuses, violences physiques. Mais, on s’accorde à les classer généralement dans 3 grandes catégories. Les violences physiques, les violences psychologiques et les violences économiques.
Existe-t-il des cas de violences faites aux hommes? si oui, qu’en faites-vous?
Hélas ! oui, il en existe. Nous ne pouvons pas le nier car, il existe en effet des cas de violences faites aux hommes. Mais pour la quinzaine des violences basées sur le genre, il a été retenu par la
communauté internationale que la priorité doit être donnée aux femmes parce qu’en réalité, ce sont les violences faites aux femmes qui sont les plus alarmantes et les plus persistantes. Le féminicide est de plus en plus répandue et nous devons faire reculer cette tendance. Vous savez la violence appelle la violence. Il faut instaurer un climat de paix. Et permettez moi d’ajouter que si la communauté internationale a décidé de consacrer une quinzaine à cette violence, ce n’est pas du féminisme mais c’est parce qu’on a constaté que dans de nombreux pays les pratiques traditionnelles néfastes, continuent de violer les droits les plus élémentaires des filles et des femmes. Je vous donne un exemple: savez-vous que le mariage précoce et le mariage forcé des filles continuent dans plusieurs de nos communes avec la caution des parents et des leaders religieux? Savez-vous que dans certaines contrées de notre pays, des gens continuent de pratiquer la mutilation des appareils génitaux de nos filles ? Savez-vous que dans notre pays, il existe beaucoup de femmes qui ne peuvent entreprendre une activité ou aller travailler sans le consentement de leur mari, à l’heure où le monde entier se bat pour l’autonomie économique et financière des femmes ? Il ne sera pas juste de penser, alors que le monde entier lutte et éveille la conscience de tous sur les violences faites aux femmes, que c’est du féminisme ou c’est une lutte des femmes. Les femmes magistrats réunies au sein de l’association des femmes juges du Bénin AIFJ-BENIN chapitre Béninois, réaffirment que leur engagement dans cette quinzaine pour le respect des droits humains et de la dignité humaine. C’est pour ces raisons, que je viens vous rassurer que les magistrats qui travaillent au quotidien dans nos juridictions ont prêté serment pour rendre la justice au nom du peuple béninois en toute impartialité. Il n’y a pas de raison de croire que lorsqu’eventuellement, ils seront saisis d’un cas de violences subies par un homme, la loi ne soit pas appliquée. Ainsi les cas, de coups et blessures volontaires réciproques entre conjoints ne sont pas systématiquement des violences subies par une femme. Ne perdez pas de vue, que les magistrats doivent appliquer la loi et examiner chaque dossier avec tout le discernement requis avant de rendre une décision.
Un Cas Pratique
Le soir après le boulot, Mr Sessi retrouve sa petite famille. Au salon, devant les enfants, il s’adresse à son épouse.
» Ecoute Safi ! je t’ai toujours refusé de ne plus me parler ainsi. En tout cas, tu verras de quel bois je me chauffe ».
Réaction?
Votre cas fait état d’une simple dispute entre conjoints.
Je peux vous rassurer qu’il ne suffit pas d’une simple dispute entre époux pour dire qu’il y a violence subie par la femme. Et ipso facto enfermer l’époux violent, non et non. N’oubliez pas que la justice a aussi une dimension sociale à œuvrer pour l’apaisement sociale en préservant le noyau familial et surtout en tenant compte de l’intérêt supérieur des enfants. Nous voulons aujourd’hui, une justice à visage plus humain et plus proche des justiciables. Je conseille souvent aux hommes lorsqu’ils ne peuvent plus se retenir face aux provocations, de quitter les lieux. C’est mieux.
Vous n’avez pas été au bout de votre cas pratique. Il a menacé Safi de lui montrer de quel bois il se chauffe. Mais qu’a t’il fait exactement ? A-t-il fini par mettre sa menace à exécution ? A-t-il a battu Safi? Si elle saisit la justice en raison de la bastonnade, assurément nous serons confrontés à un cas de violences faites aux femmes et la loi va s’appliquer. Vous savez, lorsque la femme en vient à saisir la justice, c’est qu’il y a un trop plein.
C’est juste pour savoir dans quand cas parle- t-on de violence verbale ou psychologique?
Il peut s’agir dans ce cas d’une menace verbale mais cela dépend des gestes aussi et du ton. Certaines personnes sont plus fragiles que d’autres. Il faut faire attention.
Si Safi venait se plaindre à vous, Présidente du chapitre Béninois-AIFJ, quels conseils lui prodiguerez-vous ?
Nous en tant que magistrat, nous ne conseillons pas. C’est le rôle des avocats. Mais je chercherai en premier lieu à rencontrer son époux et écouter sa version des faits. Il faut toujours privilégier le contradictoire. Sinon, on a des surprises désagréables. Lorsque nous sommes saisis, nous devons trancher le différents. C’est la raison pour laquelle, je disais que désormais nous ne voulons plus rester indifférentes et impuissantes face à la douleur de nos sœurs.Souvent, elles n’arrivent pas à faire valoir leur droit ni à se défendre. Elles ne les connaissent même pas.
Parlez-nous pour finir, des différentes manifestations que vous organisez dans le cadre de la quinzaine.
Le lundi 9 décembre 2019 à 15h à Allada, l’AIFJ-Bénin organise une conférence publique sur le thème du mariage forcé et précoce. C’est l’une de nos activités phares de la quinzaine. Quand nous parlons des mariages forcés, ou précoces, nous sommes au cœur des violences basées sur le genre.
Un dernier mot pour finir cet entretien
Je ne peux que vous remercier pour l’occasion que vous me donnez de présenter notre association. Il s’agit d’une association professionnelle réunissant des femmes magistrats et non des femmes juristes. Je tiens à lever cette équivoque. Il s’agit exclusivement de femmes magistrats. Nous ne pouvons être sur le terrain au même titre que les autres associations de la société civile en raison des contraintes professionnelles et de nos règles déontologiques. Nous nous contentons pour le moment de sensibiliser sur certains phénomènes et oeuvrer à la promotion des droits humains sans tambour battant.En tant que magistrats, nous devons agir avec dignité et délicatesse. C’est la raison pour laquelle, nos marges de manœuvre sont réduites. A tout moment, nos chefs peuvent estimer que nous avons violé une règle déontologique, un manquement au devoir de convenance de notre état par exemple. Nous sommes donc très prudentes dans nos actions. Je tiens à saluer le travail de l’association des femmes avocates. Elles font un travail admirable. Nous devons chaque fois tenir compte du fait qu’à un moment où à un autre nous pouvons connaître d’un cas de violence. Nous ne pouvons donc pas nous impliquer en amont. C’est le rôle des avocats et autres juristes.
Interview réalisée par « La Voix de la Justice »